POSTFACE

A l'exception de la lettre finale, laquelle fut rédigée à Guangzhou, République populaire de Chine, ce que vous venez peut-être de lire, je l'ai écrit entre septembre 1995 et août 1999 ; période durant laquelle j'habitais solitairement un T2, au dernier étage d'un immeuble résidentiel situé quelque part dans une ville de l'Ouest. J'ignore ce que vous avez pu en penser. La plupart de ces textes sont extraits d'un livre qui risque peu de se voir publié et que j'intitulais Résidence. J'ignore ce que vous auriez pu en penser. Mais si je le découvrais aujourd'hui, il me serait sans aucun doute d'une lecture déplaisante, voire même irritante : " Encore quelqu'un qui se prend pour le centre du monde... " J'ai besoin que vous sachiez que l'on peut en guérir. Je ne parle pas de la maladie de la drogue (j'ai écrit la quasi-totalité du manuscrit (chose assez lourde, grosse de plusieurs centaines de pages (soûl et amphétaminé), mais d'une maladie plus grave et plus difficile à nommer. Lorsque j'ai achevé tant bien que mal cette " histoire ", je ne voyais plus vraiment d'autre issue que le départ. J'avais fait subir à mon écriture à peu près tout ce qui m'était possible de lui faire subir. On est libre d'entendre par " écriture " : esprit. Et mon corps fatiguait beaucoup. Comme je suis quelqu'un de chanceux (qui sait parfois saisir l'occasion quand elle se présente), une personne m'a opportunément proposé de venir la rejoindre en Chine, parce que ça ne pouvait me faire que du bien… Qu'elle soit bénie. Je suis parti sans savoir combien de temps je resterai parti. Récemment une pensée m'est venue, qui m'a fait sourire : pour que tu te fasses davantage de mal, il aurait fallu que tu sois davantage doué pour le malheur que tu ne l'es, il aurait fallu que tu fournisses un trop gros effort… Non, je ne pouvais plus aller encore plus bas. J'avais atteint certaines limites. Persister signifiait perdre l'irremplaçable. La raison, au minimum. Avec le recul, je ne regrette pas Résidence. Au contraire. Résidence était nécessaire. Ce fut une sorte de descente aux enfers. Chacun s'en fait son idée. En ce qui me concerne, l'enfer est absence d'amour. Comparable au chasseur d'ombre, ou au scientifique moderne dont le but en perpétuelle mutation ne peut s'atteindre, l'être en enfer ramène tout à un vide affamé. Il y aura sempiternellement plus grand, plus petit… Tenter de trouver l'insécable à l'aide d'un microscope est une absurdité. D'ailleurs l'enfer est absurde. Malgré les propos que l'être en enfer pourra vous tenir, soyez assuré que pour sa part ce n'est pas le sens qui prime. Mais le soulagement. L'assouvissement, si vous préférez. J'ai écrit toutes mes phrases pour en écrire une. Celle-ci, de Marcel Schwob, mise en exergue de Résidence : " Maître de ceux qui ne savent pas, délivre-moi ! " Le Maître m'entend à chaque seconde et moi je l'ai entendu. Je ne sais pas grand-chose. Je m'efforce de vivre selon ce que je crois. Je ne parlerais pas de ce que j'ai vécu un soir de décembre 1999. Ce fut suffisant. Suffisant pour me changer. Ce fut un début. Ce fut le début. A vous qui avez lu ces fragments excessivement obscurs, je veux dire que désormais je désire écrire le plus simplement et le plus clairement possible. Ainsi que des lettres écrites à un ami. Qui est ce Maître dont je vous parle ? Si j'annonce que je suis chrétien, me poserez-vous la question ? Pendant longtemps j'ai dit : " J'essaie de me conduire en chrétien. " Mais il faut bien un jour assumer ce que l'on devient. Et puis à force de devenir on est. Je sais que l'époque ne porte pas vers la doctrine du Christ. L'époque ne fait pas des gens humbles. Voilà ce que je sais, l'époque n'est pas que mauvaise, certes non, mais elle ne rend pas humble. Et qui ne dit pas humble, finira par dire désespéré, incapable d'aimer. Finira par dire : en enfer. Voilà ce que je crois. Or nous n'avons pas été créés pour l'enfer. Si c'est un passage, si ça l'a été pour moi, je ne le souhaite à personne. Je n'affirme pas qu'il est un passage obligé, qu'il doit être visité par tous. Il y a cependant des leçons à tirer de cet endroit à l'envers… Assez parlé de l'enfer. Maintenant, sachez qu'on ne lit jamais assez l'Evangile. Cette parole m'a parlé et je ne voulais pas prêter l'oreille ; elle me parle, et je crois qu'elle parle à tous dans tout et par tout. Il faudrait prier, prier sans cesse. Moins de yoga et plus de prière, je vous en prie. Moins de politique et plus de dévouement. Résidence était en quelque sorte la grâce au travail, elle qui faisait son travail en moi pour que j'aille un peu vers Celui dont elle vient et dont je viens, que je fasse quand même un peu mon travail à moi d'humain. Car la voilà cette bonne nouvelle : nous ne sommes plus implacablement soumis aux conséquences de nos actes, et des actes de nos morts. Il aura suffit d'un homme, d'un seul. Et cet homme devait également être le Roi des rois, le Seigneur éternel ; car s'Il n'était pas venu jusqu'à nous, jusque dans la chair, il n'y aurait jamais eu un homme, un seul, pour retrouver la voie du Royaume. Aimez-vous les uns les autres comme Il nous a aimés.


J. P. D.