2002-2012 Paul Voise, Faits divers, Politique et Insécurité : dix ans après le plébiscite en France (éditorial)

Après un long silence de la revue sur internet voici www.criticalsecret.com n° 16. Quoi de neuf depuis les podcasts et les 3G ? Au point où nous en sommes, le passe-partout de la vision et de l’écoute numériques, en temps réel de la société urbaine, c’est le Sésame des tablettes de lecture connectables par téléphone ou par wifi : le html5. Voilà pourquoi cet opus est numériquement consacré à l’édition en html5 d’un film d’une durée de une heure, afin qu’il soit visible in extenso sur n’importe quel écran d’ordinateur ou tablette de lecture,* indifféremment des navigateurs utilisés.

Inutile de cacher que le renouvellement de la campagne électorale des présidentielles françaises ait convoqué, sous le point de vue diachronique de la revue www.criticalsecret.com, une attention thématique particulière.

— Ces élections ont lieu à un carrefour de l’orientation supranationale européenne dans une crise financière qui dévore la monnaie. Soit juste après la signature du pacte de stabilité qui assigne les économies à déserter la croissance, engageant la ruine des sociétés pour assurer l’hégémonie des vecteurs financiers.

— Avril 2012 vient après le traité de Lisbonne qui a abusé des peuples consultés sur la constitution européenne, et qui arrime la justice à la raison d’État et la police à l’armée, entre autres.

Pour comprendre la campagne actuelle des Présidentielles et la subversion de la conscience civique par l’opinion, animée par la Presse particulièrement depuis une décennie, en France, il faut remonter aux élections mémorables de 2002 à l'enseigne de l’affaire Paul Voise. C’est l’épisode qui inaugura la fin de la représentation républicaine du chef de l’état élu au suffrage universel. Les français critiques ne disposant ni du vote blanc déductible des suffrages obtenus (ni de la représentation proportionnelle pour les législatives), pour un grand nombre s’abstinrent, et les autres faisant à la fois un vote de censure du gouvernement socialiste de la cohabitation et du Président sortants votèrent pour Jean-Marie Le Pen, particulièrement médiatique, ironique et même comique ; en outre, celui-ci concentra le vote des électeurs effrayés par l’agression de Paul Voise et l’incendie de sa maison, largement publiés sur les ondes et à la télévision pendant les deux derniers jours de la campagne électorale du premier tour. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale un candidat d’extrême droite parvenant au second tour devenait éligible au poste suprême dans cet ancien pays collaborateur des nazis — Le Pen 17%, Chirac (centre-droit) 20%. C’est par un plébiscite des partis unifiés pour le vaincre au second tour que Jacques Chirac fut élu avec 82,5% des suffrages, soit au-delà de la répartition électorale habituelle des formations en présence, et que les élections législatives suivantes confirmèrent sa domination par la majorité absolue de son parti, ses anciens rivaux en appelant de la même façon que lui à la fin de la cohabitation, alors qu’il n’était pas donné vainqueur avant l’ouverture de la campagne présidentielle. Ainsi commença une oligarchie autocratique.

Le film qui déconstruit point par point les élections de 2002 existe. C’est Paul Voise, Fait divers, Insécurité et Politique, réalisé par Simon Guibert, journaliste documentariste et auteur dramatique de la radio, et Arthur Guibert, cinéaste, cadreur et monteur, avec Alexandre Héraud, le journaliste d’investigation dans son propre rôle. Au long d’un récit prospectif de 57 minutes, cette œuvre présente le bilan d’une enquête de deux ans, et dresse le profil d’une déviance de la communication électorale autour du sécuritaire, qui caractérisa le virement radical de la démocratie en autocratie oligarchique en France. Le film commencé à la fin de 2002 dont le tournage s’est achevé en 2004 a été monté en 2005, puis il fut proposé en quatre parties par ses deux auteurs, sur Dailymotion, en 2006.

Criticalsecret le publie in extenso pour la première fois sur le web et pour les tablettes de lecture. C’est un inédit exclusif.

Nous sommes en 2012. Le pays est endeuillé par un événement d’une violence meurtrière sans précédent qui a interrompu la campagne électorale des nouvelles présidentielles françaises, redonnant au président sortant candidat à sa propre réélection le monopole institué de son omniprésence médiatique, et de celle de son gouvernement. Ce président fut élu lui-même dans des conditions exceptionnelles de médiatisation de sa personnalité autocratique et de son mode de vie sous l’égide de l’argent, en 2007.

Sans rapport sinon de calendrier, un tireur isolé, tueur de masse en série, a fait ce mois-ci sept victimes en trois jours différents : à Toulouse, le meurtre d’un militaire originaire des Antilles, à Montauban, de trois militaires d’origine maghrébine, tous appartenant au même régiment de parachutistes, le 17e, et de retour d’Afghanistan, et plusieurs jours plus tard, encore à Toulouse, à la porte d’une école confessionnelle juive, de trois écolières et d’un rabbin. L’homme jeune, un mécanicien chômeur « présumé » coupable, ne sera jamais l’objet d’une enquête judiciaire, ni jugé, ni écroué, parce qu’il fut abattu par le RAID. Puis les révélations du plus haut fonctionnaire de la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur) laissèrent entendre qu’il put s’agir d’un agent retourné, avec lequel il avait eu des échanges directs et une réunion — ce qui impliquerait davantage qu’un protocole de surveillance, d’après l’ancien patron de la DST (Direction de la Surveillance du Territoire fusionnée depuis 2008 avec la DCRG, — Direction Centrale des Renseignements Généraux, — dans la DCRI). Si les islamistes recrutent en prison peut-on croire que la DCRI aussi ? Personne n’a vu la recension de son arsenal, ni sa caméra, après l'assaut, et tous se demandent comment ses films montés en un seul et mis en musique purent arriver après sa mort dans les bureaux d’Al Jazeera à Paris, alors que sa mère, son frère, et sa belle sœur étaient aux arrêts. D’ailleurs personne ne montrera ce film, encore une fois ce sont des déclarations sans fourniture des preuves aux yeux du public, lequel par conséquent est de plus en plus désinformé par la Presse, car elle-même ne fait pas davantage état de ce qu'elle aurait pu vérifier en matière de preuves à la source, — ce ne seraient donc que des rumeurs de ministères ?… Le procureur n'a surgi qu'une fois les choses produites. La Presse sur place avant et pendant l’assaut fut tenue à l’écart et directement et exclusivement renseignée par les déclarations et les commentaires du Ministre de l’Intérieur, qu'elle relaya sans émettre le moindre doute. Puis relayées par des leaders policiers justifiant les 300 projectiles que le garçon aurait reçus dans le corps, d’après le médecin légiste (là encore, sans accès aux sources). Mais les vidéos amateur des habitants donnent bien à entendre un feu nourri à plusieurs moments et le dernier durant près de dix minutes (ça ne dit pas pour autant où était la cible, dehors ou dedans). Les dépêches de l’AFP reportant les déclarations des ministres et du Président ne sont pas les mêmes selon qu’elles soient exprimées en français en France, ou en anglais dans la Presse étrangère, ici on enfonce le clou du réseau djihadiste et on incarcère le frère, là-bas on affirme radicalement qu’il s’agit d’un « loup solitaire »… Le visa du possible meurtrier djihadiste accordé par Israël — dont nul ne peut douter des services de sécurité particulièrement efficaces, — et son passage chez les palestiniens quand les représentants du droit ont tant de mal à y entrer, et les palestiniens à y revenir, restera encore une nébuleuse. De sorte qu’on ne saura pas ce que recouvrait cette affaire, sinon le sillage raciste et xénophobe qu’elle souleva durablement sur fond de meurtres et de terreur, avant l’issue des Présidentielles. Il faudra attendre le résultat d’investigations menées par des journalistes ultérieurement, or sans doute des années plus tard, comme il s’agit d’une affaire impliquant l’État.

Comment réagira le peuple français le 22 avril 2012 ? Personne ne peut prédire, à l’instar des espagnols après les attentats autrement meurtriers de Madrid en 2005 (200 morts, 1600 blessés), si les électeurs français tiendront leur rôle historique en faisant le vote du maintien de la liberté et du droit, et de l’économie vitale pour la société, ou s’ils sombreront dans une sorte de dictature mortifère prédite par la profusion de tels signes.

L’ensemble de l'installation thématique que nous proposons comprend le film et ses annexes, textes et documents, ainsi qu’une galerie photographique du tournage par le photographe documentariste Mat Jacob, plusieurs fois primé pour ses reportages. Cet opus est installé sous la forme d’une revue audiovisuelle en cohérence de l'image photo technique et filmique qui en caractérise le réalisme, par l’artiste Thomas Schmidt, lui-même photographe. Entre le triple encodage du film installé, dont l'alternance automatique selon les navigateurs utilisés demeure encore peu éprouvée pour une telle durée, la fluidité des objets visuels en html5 sur les tablettes, et le texte intégral du conducteur du sous-titrage en anglais, (bientôt le film sous-titré lui-même), la galerie et les textes, l'opus 16 propose à l’amateur de nourritures virtuelles une installation qui ne désempare pas de l'aventure à laquelle la revue www.criticalsecret.com a traditionnellement convié, depuis sa création sur internet.

En 2005, le film sur un événement prescrit ne retint pas l’attention. Peut-être fallait-il refouler le traumatisme de savoir comment on en était arrivés à une telle résignation, qu’une culture de la révolte comme la nôtre ait manifestement perdu à la fois sa constitution et ses droits fondamentaux. Soudain, la proximité des Présidentielles de 2012 révéla l’intérêt du film sur Paul Voise. En 2011 il fut invité dans plusieurs festivals du film documentaire et du documentaire de création. Le dernier avant cette installation date de novembre 2011 à Paris, il s’agit du festival du cinéma d’ATTAC [pdf], sous le signe de « La Fabrique de la peur ». Nous y sommes.

Aliette G. Certhoux
(mars, 2012)



Note

* Excepté les plateformes Androïd — qu'il s'agisse de tablettes de lecture ou de téléphones — car elles n'interprètent pas les vidéos installées en HTML5. Elles requièrent une application Flash que nous ne relayons pas encore dans cette installation (expérimentale du logiciel libre).